mercredi 3 août 2011

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Pas un bruit. réveil. Il est 5h du matin, personne n'est debout. Habituelle maison vide avant l'aube dans laquelle je me faufile à la recherche d'un début de journée. Parfois qq pages de Tchekov, parfois l'actualité internationale, parfois le pétrissage de la miche de pain du matin.
Sortie de mon sac de couchage, le fond de l'air frais ne me saisit pas tout de suite. J'ai le temps de trotter pieds nus au rez de chaussée avant de réaliser que j'aurais du prendre un pull. Illusion dont je n'arrive pas à me défaire qu'il fait toujours chaud entre les deux tropiques.
Nous sommes début aout, le dernier mois commence doucement. Il attend au seuil avec son lot de stress, de vacances, de découvertes et de retrouvailles. Il attend un peu trop longtemps. Quelques jours de vide, comme cette matinée où je tapote sur mon clavier à peine une phrase à l'heure, où mon esprit vagabonde en cherchant sur quelle idée s'arrêter, qu'écrire. L'heure du rendu approche, mais le froid qui grandit dans le bureau sans soleil continue à engourdir doigts et esprit. Déjà le monde se dépeuple, les allers et venues des collègues vident l'espace qui a été quelques semaines surpeuplé.
Laborieusement une autre phrase pour décrire la géographie de mon dernier terrain, et je me prends à suivre la route sur la carte. Et me voilà repartie. A dans une heure, le temps que je rattrape et remonte le fil d'une de mes idées pour l'aplatir sur la page.

samedi 23 juillet 2011

Ruines

Il est un paradis perdu et retrouvé, seul endroit qui a su dans sa décadence retrouver cette beauté primaire des terres qui n'ont jamais vu les vacanciers.
Une côte aux palmiers penchés par le vent, au sable qui voltige, blanc, un port qui n'accueillent que pirogues et voiliers de pêche, des noix de cocos à tous les stades de maturité qu'on cueillerait soi-même.
Ce tableau idyllique est encadré de vestiges d'une saison touristique depuis longtemps révolue : ici des bungalows de luxe en bois précieux qui offrent leur panorama marin aux quelques rats qui ont su s'y faufiler mais fermés à d'autres habitants. Là le béton bleu turquoise d'une ancienne piscine où viennent aujourd'hui se briser les vagues. On en distingue encore une savante mosaïque marine qui ne peut plus concurrencer les vrais poissons qui s'y retrouvent comme dans un autre volume de mer. Des paillotes s'alignent le long du rivage, le sable est venue à elles, elles n'ont pas eu à se construire les pieds dans l'eau. C'est la mer qui avance. Leurs chaises et tables sont branlantes, rendues bancales par la profondeur du sable fin qui les supporte, lavées au vent salé venant de l'océan. Quelques frigos ensablés rendent encore des bières fraiches aux rares vacanciers qui sont venus se perdre dans les épaves léguées par les flots de leurs congénères qui jadis arpentaient ces rues.
Le goudron a laissé place au sable, les grands hotels désertés servent de paravent aux cases de pêcheurs qui ont regagné les environs de la ville fantôme. Les paréos traditionnels dessinent des silhouettes qui ne souffrent pas du soleil, n'exhalent pas cette odeur de crème. Entre un portique de baobabs et une plage sauvage, l'accueil d'un palace fantôme s'érode lentement au sable qui s'égraine au vent incessant, sablier s'écoulant sans fin qui aura raison de ces ruines.

mardi 19 juillet 2011

la forêt allumette

Ecosystème de travail : la forêt dense sèche. Personnellement quand on m'a dit ça, je ne savais pas vraiment à quoi ça ressemblerait. Ce n'est pas sec une forêt, c'est humide on voit l'eau qui en perle, ça sent l'humus, ça a la douceur de la mousse des arbres, et le goût de ses nombreux champignons qui ont capté tous les arômes de la terre si riche.

La forêt dense sèche ressemble à une allumette.
A voir, c'est un amas de batons trop maigres qui font hésiter entre des cheveux emmêlés regardés au microscope et une touffe de brindilles qui auraient trop grossie. C'est marron beige, presque blanc gris pour ce qui est du sol. Les sables, marrons, et tout ce qui évoque le brûlé dominent les couleurs.
Ca n'a pas d'odeur. Ou peut être celle du sable trop chauffé, pas celui de la plage, celui du chantier, qui se mêle au ciment et à une poussière fine. Parfois quelques plantes aromatiques exalent un parfum séché, brûlé, cramé plus proche du cumin que du thym et toujours toujours âcre comme un fond de marmite noirci.
Au toucher ce n'est que rèche, cassant. Les écorces des arbres et les feuilles mortes s'égrainent dès qu'on ferme sa main dessus.
Ca craque, rape, se froisse. Ca dit bien les bruits qu'on y entend.
Et au goût, il faut être venu à Madagascar pour comprendre : ça a les arômes de l'eau de fond de casserole de riz, ranopanga. Un liquide brûlé dont le goût évoque toutes les catastrophes de cuisine qui collent au fond de la casserole.

vendredi 8 juillet 2011

Up, down and round

Passé Antsirabé, il n'y a plus de ville, après la cinquantaine de km sur lesquels cette dernière a essaimé des maisons rapprochées, solides et presque urbaines, toute idée de ville disparaît. S'ouvre une savane, qui n'a plus rien à voir avec la terre rouge parsemée d'arbres des hauts plateaux, ces montagnes chaudes qui destabilisent par la combinaison de leur relief hivernal et leur manteau d'été. Une savane qui s'étend à perte de vue mais a été mal étalée. Gondolée comme la piste qui la traverse, elle franchit, recouvre, contourne une multitude de collines de toutes hauteurs, toutes formes. Pierreuses ou aménagées en terrasses, toutes habillées de leur couverture herbacée, de leur qq arbres de savane arborée. La route grimpe, dévale, et entoure (up, down and around) dans ce paysage connu mais déformé. C'est une constante de ce pays...il rassemble tant de choses qu'on y retrouve ce qu'on connait mais toujours avec un petit quelque chose qui interpelle. Les savanes à bosses, les montagnes qui brûlent, la sècheresse sahélienne tachée du vert vif du riz de bas-fond. Les baobabs, même eux, font les originaux (plus savamment on pourrait dire qu'ils sont endémiques).
Longue route vers l'ouest de l'aube au crépuscule. Demain pour la première fois sur cette île, je verrai la mer. Et devant moi : le Mozambique et le continent africain qui a déteint sur cette partie du pays plus qu'ailleurs.

mercredi 29 juin 2011

partir sans savoir où l'on va revenir

Plus on est loin plus tout semble proche. Ces ailleurs, ces prochains voyages, on n'imagine plus repasser par la case départ. Des ponts géographiques et temporels relient tout, comme s'il suffisait de cligner des yeux pour se trouver à un tout autre moment dans un tout autre lieu et que ces moments étaient simultanés.
Une nouvelle théorie de la reine rouge (Through the looking glass). Marcher pour rester au même endroit. Quel est cet endroit qu'on ne connait que dans le mouvement perpétuel? L'indépendance, un état d'esprit qui ne vous rattache plus à rien ni personne, qui donne juste envie de construire un petit bout de route avec quelques esquisses d'amis, avec quelques repères immuables du bord de cette route sur laquelle on ne s'arrête plus de marcher. Et traverser ainsi des moments de vie qu'on ne répétera jamais.
La route suit une pente qui entraîne et entretient le mouvement. Parfois on discute avec une connaissance croisée sur ce chemin, jusqu'à ce que l'envie prenne de regarder par dessus son épaule vers l'inconnu que réserve encore la route, pour réaliser qu'on a envie de courir pour compenser d'avoir cesser quelques temps d'avancer.

mercredi 15 juin 2011

exploration

J'emprunte à Béa [à la COP] l'usage des crochets, ceux qui sont versés à la lecture des textes climatiques sauront qu'en faire ;)

Le titre dirait à beaucoup que je suis déjà repartie...Et pourtant c'est bien de mon cocon à Tana que j'écris ce message. Sur la piste que je parcours le plus : de la fac à la maison vers le centre ville, le long du marché. Alors cette exploration, elle n'est pas géographique, ou peu géographique. C'est l'exploration d'une idée simple chère aux environnementalistes qui ont un faible pour la paysannerie [les légumes] [la low carbon economy] [les terroirs] en même temps ou individuellement : manger local et saisonnier.
En France facile : je suis rodée par une participation à une AMAP aux légumes de saisons, à la faible consommation de viande, aux écarts obligés pour le chocolat. Ici il a fallu surmonter plusieurs obstacles.
Les saisons d'abord: bienvenu en hiver! Sauf que l'hiver ici signifie 25° dans la journée, 5° aux heures grises qui précèdent l'aube. Ou alors 30° partout tout le temps. Ou encore la saison où il pleut à opposer à la saison des pluies. Ou la saison sèche. Selon les caprices de la météo et de la région où l'on se trouve. Alors comment comprendre qu'est ce qui est disponible quand? Observer, le long des étals du petit marché qui se déploient en une succession de petits boxes en bois dans notre quartier. Dans ce pays où l'on dit que tout pousse, la déception était grande quand on a vu s'empiler les oranges et les clémentines. Qui dit agrumes, dit pas grand chose d'autres en Europe (et même au Liban) : c'est la saison morte des fruits. Sauf que incohérence de calendrier, retournement des références : des montagnes de fraises ont émergé, à coté de tas de papayes géantes, ananas nouvellement mûris, et nèfles délicieuses (ça j'aurais pu prévoir en réfléchissant un peu). Côté légumes aucune inquiétude : carottes, tomates, courgettes, aubergines, tout le temps et délicieuses.
Ensuite il a fallu comprendre les provenances : boeuf? non zébus. Poulet? Oui mais poulet gasy (maigrichon et très goutu) pas poulet de chaire importé d'on ne sait ou. Vanille? Oui mais ramener dans le sac à dos du coloc' qui travaille sur la vanille certifiée. Chocolat, gateaux secs, jus de fruits, pain d'épices, miel : produits à Madagascar pas en Turquie! Pas de poissons à plus de 50km d'un lac ou de la mer (on a vu comment ils sont transportés, ça ne donne pas envie) ; du canard quand on en voit courir dans la rue ; et du riz toujours en base ; du fromage et des yaourts maisons quand il y a des vaches et qqcn qui a pensé à en faire qqch.
Puis ensuite il restait à mélanger tout ça : après deux semaines de ratatouille à tous les repas domestiques, l'imagination s'est mise en marche. On a appris à faire attendre et mariner le zébu tué le matin même quitte à voir noircir un peu la viande. On a décortiqué le poulet, os minuscule par os minuscule. Et puis on s'est mis à l'utilisation des produits abondants et locaux pour créer : poulet à la papaye ; flan à la vanille ; riz des pauvres (riz rouge que tout le monde fuit pour du riz tout blanc parfois pakistanais) ; pain maison (exception à la locavorie : la levure de boulangerie. Si qqcn peut m'expliquer comment faire du levain?) ; tarte aux fraises sans amande ; confiture de mangue, grenadelle [passion], ou banane vanillée.

Se réadapter au régime locavore français va être difficile...

samedi 11 juin 2011

apprendre ailleurs

En deux semaines j'ai l'impression d'avoir appris autant qu'en deux années. Plongée dans l'action du terrain, dans sa réalité, dans ses dysfonctionnements et ses réussites de chaque jour. Suivre pendant 15jours l'équipe minuscule d'une ONG bien plus grande dans un projet d'ampleur régionale. Calendrier serré, tâches diverses. J'ai appris à guetter les cris des lémuriens, à me frayer un chemin en pirogue dans un marais qui s'assèche. J'ai ouvert les yeux sur un écosystème que je ne m'attendais pas à voir. Un peu naïve je parlais de jungle, et j'ai plongé dans ce qu'on appelle ici le zetra caractérisé par des plantes flottantes de plusieurs mètres de haut, habitat privilégié de lémuriens, oiseaux d'eau, et poissons. Une superficie de 23000ha autour d'un lac qui en fait 20000ha, parcouru de toutes parts tous les matins entre 4h et 8h, j'ai découvert ses oiseaux, ses serpents, ses habitants, ses enjeux. Alors sur la route du retour, j'ai réalisé les enseignements que j'en pouvais tirer, la nouvelle perspective portée un paysage. Et lorsque nous avons frôlé un autre lac, et que j'ai vu à perte de vu rizières et champs de foin, j'ai compris la vitesse du défrichement. Ces amas de maisons en terre de la même couleur que le sol qui les porte abritent quelques centaines d'habitants, parfois seulement quelques dizaines. Et pourtant le travail acharné de quelques hommes pendant des heures harassantes peut avoir raison en qq années de plaines entières. C'est à cela que je travaille : comprendre comment rendre compatible le besoin et l'envie d'un revenu plus élevé (ou d'une assiette de riz plus remplie) qui passent par l'agrandissement des surfaces cultivées avec la conservation d'un écosystème pour ce qu'il abrite, mais aussi ce qu'il apporte de ressources qui façonnent ici le paysage matériel et culturel : clotures des maisons, paniers de transports, toits, rites et proverbes.